Le pain est un des vieux plats « cuisinés » du monde. Celui que nous connaissons aujourd’hui n’est pas très différent de ce qu’il fut dans la préhistoire : simplement composé de farine et d’eau, d’un peu de sel et de beaucoup de savoir faire.

À partir des céréales, il fallut trois étapes avant que les hommes fissent du pain, en une longue évolution qui commença dès le paléolithique.

Ils consommèrent d’abord les grains des céréales sauvages après la cueillette. Entiers ou concassés, on les mâchait tels quels, crus ou bien grillés sur une pierre chaude. Oui le pop corn a existé avant le pain. (Si le sujet vous intéresse c’est l’objet d’un chapitre de mon livre)

Puis ils fabriquèrent une bouillie à partie des grains plus ou moins écrasés.
Mélangés à un liquide, les grains écrasés donnaient une pâte que l’on pouvait manger crue ou cuite, et aussi boire. Cette bouillie fermentait facilement et devait être vite consommée. Lorsqu’on laissait faire la fermentation, la boisson prenait un autre goût : on obtint de la bière. Mais c’est une autre histoire, qui est aussi dans mon livre.

Et enfin ils confectionnèrent des galettes. A partir de cette bouillie, si l’on faisait la pâte plus épaisse, avec moins de liquide, on pouvait la façonner en galette. Cette galette était cuite sur une pierre chaude, sur un grill, ou bien sous la cendre, sous une cloche en terre cuite, ou dans un four.

Ces mêmes galettes existent encore aujourd’hui dans de nombreuses civilisations. Pensons aux pains plats du type pitas, nân, chapatis, ou tacos. Ces galettes antiques sont aussi les ancêtres de la pizza : dès les époques les plus reculées, une galette fut garnie d’oignons et d’anchois, puis cuite au feu de bois.

Une découverte accidentelle : le premier levain
Il arriva que l’on oublie une galette crue de blé, d’épeautre, d’orge ou de seigle dans un endroit tiède pendant quelques jours. Elle avait pris une odeur aigre, était devenue bizarrement boursouflée, pourtant on l’a faite cuire quand même. Peut-être était-on pressé de lever le campement. Peut-être la nourriture était-elle rare et l’on ne voulait pas gaspiller… Quoi qu’il en soit, le pain était né.

Moules à pain coniques de l’ancienne Égypte, mis à chauffer avant de recevoir la pétrissée. (Tombeau de Ti)

Déjà il était né et il avait pris son temps, il était né parce qu’on l’avait laissé tranquillement suivre son propre rythme. Cet accident a dû se reproduire maintes et maintes fois avant que cela ne devienne un réel progrès de civilisation. On remarqua que la galette avait un autre goût, et on l’apprécia. Il fallut apprivoiser, reproduire le processus. Il fallut apprendre à contrôler la fermentation naturelle, faute de pouvoir l’éviter.

Depuis cette découverte accidentelle (comme c’est la cas pour un grand nombre « d’inventions » humaines), le pain est devenu le principal aliment de milliards d’humains, à travers les générations et les civilisations. Les hommes en ont fait le symbole même de la Nourriture, comme en témoignent des expressions comme : gagner son pain, ôter le pain de la bouche, le pain quotidien, manger son pain noir avant son pain blanc, long comme un jour sans pain, pour une bouchée de pain…

Le premier levain découvert par hasard a bénéficié d’un concours de circonstances extraordinaires : il est en effet très délicat de rassembler les conditions favorables (température constante, composition, élasticité de la pâte…) nécessaires à une prolifération microbienne spontanée où dominent les bonnes levures.

Les Égyptiens de l’époque des Pharaons faisaient déjà le pain exactement comme nous le faisons aujourd’hui.

Deux boulangers de l’ancienne Egypte pétrissent la pâte.

Ils en produisaient plusieurs sortes différentes, de toutes formes, longs, ronds, coniques, en anneaux, en croissants, et composés de plusieurs variétés de céréales. Certains étaient enrichis de miel, de matière grasse, fourrés aux dattes ou aux figues. D’autres réservés aux offrandes pour les dieux. Cette « civilisation du blé » a fait le tour de la Méditerranée, hautement développée en Grèce, elle s’est étendue sur toute l’Europe, et même au delà.

Cependant, les Egyptiens n’ont pas inventé le pain.
Le pain le plus ancien qu’on ait retrouvé est celui de Twann en Suisse, il date de six mille ans avant le présent, à une époque où la civilisation Égyptienne n’en était qu’à ses balbutiements ! (voir  une photo du pain sur cette page ICI)

Pendant 60 siècles, la technique de panification n’a pratiquement pas évolué : on prélève sur la pâte de la veille le levain chef que l’on incorpore à une pâte fraîche afin de la faire fermenter et lever. Le boulanger qui fabrique son pain au levain est donc en quelque sorte un biologiste « éleveur » de micro-organisme. C’est un travail de patience : il faut faire proliférer le levain chef en deux ou trois étapes pour ensemencer correctement la pâte : cela demande quelques opérations échelonnées sur la journée. Certains artisans boulangers pratiquent encore aujourd’hui cette méthode, les micro-organismes qu’ils utilisent ont été ainsi patiemment cultivés depuis plusieurs siècles.

En de nombreux endroits du monde, la fabrication traditionnelle du pain fait à la maison, côtoie celle des pays dits évolués, où l’industrie a imposé des normes de goût, de forme, de conservation, d’emballage, de productivité… Espérons que cette tradition venue du fond des âges, patiemment cultivée dans la chaleur des cuisines ou des fournils, se perpétue encore longtemps…
Et si nous l’aidions un peu en cultivant, lentement, notre levain ?

Et qu’en est-il aujourd’hui ?

Après la période d’après guerre jusque dans les années 70 où la qualité du pain avait considérablement baissé en France, de même que sa consommation, on retrouve maintenant le goût du bon pain, moins blanc, moins raffiné, avec une mie élastique un peu crème, irrégulièrement alvéolée et protégée par une belle croûte bien craquante. Devant l’exigence des consommateurs, de plus en plus de boulangers proposent à leurs clients des pains « de tradition » à la levure en pousse lente, ou du pain au levain naturel. Sur internet, on remarque aussi depuis quelques années un regain d’intérêt qui va en s’accroissant, pour la fabrication domestique du pain au levain.

Sur Internet, comme dans l’histoire, on reconnait deux lignées
En se promenant sur les pages du Net, en parcourant les blogs, sites ou forums, on se rend compte qu’il existe deux grandes tendances, j’allais dire deux grandes traditions : la française et l’américaine. Ce qui est intéressant à constater, c’est que ces deux « lignées »ont une cohérence historique.

La française est issue de la boulangerie européenne, en droite ligne des pains préhistoriques qui sont nés autour du bassin méditerranéen. Les pays du Sud pratiquent encore beaucoup le levain : Italie, Grèce, Liban, pays Arabes… La France se situe entre l’Europe du Sud et celle du Nord. On y faisait jusqu’au XVIII° siècle le pain exclusivement au levain. Une nouvelle mode venue de l’est  s’implanta à Paris : la panification à la levure de bière. Lorsque Marie Leckzinska, épousa Louis XV, elle amena avec elle des boulangers polonais, qui utilisaient la levure de bière. La fameuse poolish qui nous fait encore nos baguettes « tradition » est nommée d’après eux. Ce nouveau pain qu’on appelait « à la reine » bien levé, plus blanc, plus rapide à préparer, eut du mal à s’implanter, on l’accusait de tous les maux, comme c’est très souvent le cas de tout ce qui est nouveau… Mais il est toujours resté des boulangers qui pratiquaient le levain, surtout dans les campagnes et surtout dans la moitié sud. du pays. On fait aussi du pain au levain dans les pays du Nord de l’Europe, les deux modes de fermentation y cohabitent, mais le levain est utilisé conjointement avec la levure dans une même pâte, comme un arome. La tendance actuelle européenne ou française s’inscrit dans un retour aux sources, la perpétuation d’une tradition millénaire.

La lignée américaine du pain au levain date du XIX° siècle, et ce sont… les chercheurs d’or français qui l’ont exportée à San Francisco. (On sait que les voyageurs exilés emportent avec eux un peu de nourriture fermentée, voir mon livre). La légende raconte qu’ils transportaient leur levain dans un sac bien au chaud sous leur chemise… la pâte fermentait à la chaleur de leur corps. Puis le procédé fut repris par les boulangers de la ville et ce pain réputé existe encore aujourd’hui. (Cela vous donne t-il des idées pour garder le levain durant vos vacances ?) La tendance américaine du levain illustre un souci de retour à une alimentation saine et écologique, une demande d’aliment « non trafiqué », d’aliment « santé ». Elle a été enrichie par les apports des immigrants venus de toute l’Europe, et s’est développée grâce à la culture du blé américain qui est riche en protéines et d’une très grande qualité.

Ne manquez pas, sur ce blog : le méthode infaillible pour faire naître un levain : c’est ICI, clic.